dimanche 13 novembre 2011

Gbagbo piégé par la Françafrique.



  La Françafrique, dit-on est la version française de la mafia en Italie. Entre la peste et le cholera … Disons que ce néologisme est une invention, à l’aube des indépendances nationales de l’Afrique du président Houphouët Boigny, le père de la nation ivoirienne pour désigner la bonne gouvernance des pays africains d’expression française avec la puissance colonisatrice. La France a toujours cherché à maintenir un lien privilégié avec ses anciennes colonies et garder la main sur les richesses pétrolières, agricoles ou minières de son pré-carré. Autre bénéfice pour l’ancien colonisateur, depuis 1958, les dirigeants africains auraient financé sous la table les campagnes électorales des partis politiques français, droite et gauche confondues.
En contrepartie, la France assure aux présidents africains leur longévité politique, au mépris des règles élémentaires de la démocratie - Si besoin, elle intervient militairement, en application d'accords militaires de défense, pour les maintenir coûte que coûte au pouvoir :   Beaucoup de gens disent même que la Françafrique a permis à Houphouët Boigny et à son parti unique, le PDCI-RDA de rester  longtemps au pouvoir en côte d’ivoire- 40 ans- Ce n’est pas rien-
 Dans son discours d’investiture en Octobre 2011, le président Hollande évoque cette Françafrique-là avec beaucoup de colère et de mépris. Il dit ceci : « La France répudiera les miasmes de la Françafrique qui  déshonorent non pas les africains mais tous ceux qui s’accommodent de la corruption en Afrique, au point même, si l’on a bien compris, de faire financer leurs campagnes électorales passées avec cet argent-là, avec l’argent de la pauvreté, avec l’argent de la misère, avec l’argent des armes… ».
 L’Afrique a compris, Monsieur le président votre message et elle attend des actes que des discours car avant vous, Mitterrand a fait les mêmes promesses à la Baule… Et toujours rien.
Gbagbo, lui n’a pas eu la chance d’Houphouët Boigny dans les arènes de la françafrique.Il a été lâché « aux chiens » 2 ans après son arrivée au pouvoir en 2002.  Depuis  son arrestation, le 11 Avril dernier, les langues se délient : Ses anciens amis politiques, ses ex-conseillers balancent beaucoup… Ils parlent même trop pour soulager leur conscience, à commencer par Me Robert Bourgi.   Cet avocat était le conseil et le coursier de la Françafrique et aussi l’ ex-conseiller occulte de l’Elysée : Il affirme que Gbagbo a financé la campagne présidentielle de Chirac en 2002 ; Il parle de 3 millions de dollars que l’ancien président ivoirien aurait sorti des caisses déjà « vides » de l’Etat , pour les transférer  vers la France, par valises diplomatiques- secret d’Etat - soit  2 milliards de F CFA environ qu’il aurait remis à Chirac, emballés dans du papier journal , sans facture donc sans preuve. C’est dommage que cet argent « liquide » n’ait pu laisser  de traces… Mais Me Bourgi  évoque la présence d’Eugène Allou, le Directeur du Protocole de Gbagbo... Et puis, Mamadou Coulibaly, l’ex-n°2 du régime de Gbagbo, toujours Président de l’assemblée nationale  confirme les propos du cerveau de la Françafrique…
Remarquez, le premier trimestre de l’année 2002 était une période très difficile pour la côte d’ivoire sur le plan politique, économique et financière: Le pays connaissait un début de partage entre le nord aux mains des rebelles et le Sud pro- gouvernemental. Le régime de Gbagbo était menacé de toute part par les rebelles de l’actuel premier ministre, Guillaume Soro. Cette atmosphère pourrie ne permettait  logiquement pas à Gbagbo de dépenser sans compter les deniers publics. Cet argent aurait pu servir aux plans d’aménagement du territoire (les routes nationales sont impraticables, les nids de poule dégradent la chaussée, par exemple la nationale qui relie Abidjan à Gagnoa, la cité du fromager, le chef lieu de naissance de Gbagbo où la terre rouge remplace le bitume), la santé publique est le parent pauvre du budget de l’état ivoirien( les malades du sida manquent de médicaments ), l’électricité et l’eau courantes sont les besoins criants de la société ivoirienne. Et à côté de la misère de son peuple, Gbagbo se permet d’enrichir davantage les riches politiques de France, au détriment de la morale.
 C’est une histoire de ouf : L’Afrique du Sud, les Usa, l’Angola et peut-être d’autres pays ont, dans un passé récent proposé l’asile à Gbagbo, mais il a refusé parce qu’il tient un jour à se défendre, à laver son honneur, à prendre  le peuple à témoin. Gbagbo ne souhaite pas être dans le même cas de figure que l’ex-dictateur tchadien Hissen Habré, exilé au Sénégal, que ses victimes réclament désespérément devant la justice depuis  25 ans. Contrairement à Habré, Gbagbo ne veut  pas  quitter la côte d’Ivoire, quel qu’en soit le prix : Ouattara et à la communauté internationale l’ont chassé du pouvoir. Cela fait 2 fois  quand même que Gbagbo se fait arrêter par Ouattara, en 1992 et  2011. L’on se doute bien qu’il soit dans de bonnes mains à Korhogo ! Courageux mais pas téméraire, « il aime la vie, dit-il lors de son arrestation». Gbagbo sait-il ce que son entêtement coûte au peuple ivoirien , à ses frères et sœurs Bété, Baoulé, Guébié, Atié, Dida, Krou, Yobé, Agni, Gagou, Dioula, Guéré , Wolof ,Biafrais ?
Libérez donc Gbagbo afin qu’il s’explique sur les valises d’argent liquide qu’il a fait porter par Me Bourgi pour le compte de Chirac.
Zako gnali

dimanche 6 novembre 2011

SOURCE: MEDIAPART / Pour comprendre:

Le bombardement de Bouaké, une «bavure manipulée»?

 | PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART
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Une enquête d'Alexandre François
Le 6 novembre 2004, au quatrième jour de l'offensive des troupes de Laurent Gbagbo contre les positions rebelles de Guillaume Soro, deux Sukhoï ivoiriens, pilotés par des mercenaires biélorusses, Barys Smahine et Youri Souchkine, survolent avec leurs copilotes ivoiriens, Patrice Ouei et Ange Gnanduillet, le lycée Descartes de Bouaké où les troupes françaises d'infanterie de marine du colonel Patrick Destremeau ont établi leur quartier général. A leur deuxième passage, ils lâchent leurs roquettes sur l'objectif, tuant neuf militaires français et un civil américain et blessant trente-huit autres soldats. A leur retour à l'aéroport de Yamoussoukro contrôlé par l'armée française, les pilotes se posent sans encombre. Leurs appareils sont détruits par des tirs de missiles français quelques minutes plus tard.
Les Biélorusses regagnent Abidjan par la route où ils sont arrêtés avec une douzaine d'autres mercenaires slaves par des militaires du général Poncet, qui commande alors l'opération Licorne. Ils sont interrogés pendant plusieurs jours avant d'être expédiés dans un bus, sans autre forme de procès, au Togo. Là, ils sont interceptés par les autorités du pays qui, pendant deux semaines, les gardent au frais, proposant à la France de les récupérer. Mais Paris n'en veut pas. De guerre lasse, les Togolais les renvoient en Biélorussie. Depuis lors, on a perdu leur trace.
Sept ans, jour pour jour, après ce bombardement, l'enquête du Tribunal aux armées de Paris (TAP) est en panne. Et Me Jean Balan, l'avocat de plusieurs familles de victimes, perd patience. « Tout s'est arrêté, s'emporte-t-il, dans une lettre ouverte. Aucun acte de procédure significatif n'a plus été effectué depuis un an et demi. » Me Balan réclame les auditions d'une dizaine de conseillers de Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, aujourd'hui détenu par les troupes de son rival Alassane Ouattara, et de Robert Montoya, un ex-gendarme élyséen de Mitterrand, soupçonné d'avoir livré à la Côte d'Ivoire les deux avions ayant servi au bombardement, et d'avoir exfiltré les mercenaires biélorusses.
Il s'en prend à Alliot-Marie qu'il accuse d'avoir, «dès le début de l'affaire», cherché à «saboter l'action de la justice afin d'éviter, à tout prix, que la vérité ne soit connue». Et conclut par cette grave accusation: «Des éléments du dossier laissent apparaître des pistes plus que troublantes. Par exemple, que le bombardement était voulu afin de créer une situation propice pour se débarrasser de Laurent Gbagbo.»
A entendre l'avocat, ce bombardement, où neuf soldats français ont péri, serait à classer dans les dossiers les plus obscurs de la Françafrique. A priori, les faits paraissent pourtant clairs. La quarantaine de témoins, militaires rescapés, interrogés au début de l'instruction par les juges au TAP, sont unanimes pour affirmer que l'attaque était intentionnelle et que les pilotes n'ont pu se tromper de cible après l'avoir survolée à deux reprises. « Les pilotes savaient tout à fait où ils frappaient », affirme un spécialiste de la défense aérienne cité dans le dossier d'instruction. « Le premier Sukhoï était très bas. Je voyais même la tête du pilote qui regardait de droite et de gauche », raconte un autre rescapé interrogé par l'enquête.« L'avion s'est clairement positionné dans l'axe et nous a piqué dessus pour lâcher les roquettes sur les lieux de vie (le foyer) où nous étions tous regroupés. Car nous étions tous à l'ombre pour nous cacher un peu aussi », témoigne un autre survivant.
Devant l'attitude visiblement agressive des avions, les militaires français s'étaient mis à l'abri sous des auvents mais aucun d'entre eux ne se trouvait à l'intérieur du foyer visé. Et pour cause, samedi 6 novembre 2004, ce lieu de rencontre et de repos était exceptionnellement fermé pour inventaire. D'où l'étonnement et l'incompréhension de nombreux témoins et cette question: pourquoi les Sukhoï ivoiriens ont-ils visé un bâtiment qui n'avait aucun intérêt stratégique, de surcroît inoccupé ce jour-là ? «Comme si les bâtiments visés devaient être vides à un moment déterminé», note malicieusement l'avocat de la partie civile.
D'après un mercenaire français « engagé » aux côtés de l'armée gouvernementale, des officiers ivoiriens auraient été intoxiqués par « une source militaire française » sur la prétendue tenue d'une réunion des chefs rebelles le 6 novembre dans un bâtiment du lycée Descartes, le campement de Licorne à Bouaké. Cette thèse, avancée dans les heures qui avaient suivi l'attaque, a très vite été escamotée. Elle expliquerait pourquoi les mercenaires biélorusses ont visé le foyer avec autant d'acharnement et de précision. Elle pourrait, peut-être, être confirmée par la plus haute autorité ivoirienne de l'époque, Laurent Gbagbo, l'ex-président. A condition que la justice française daigne venir l'interroger dans sa résidence surveillée de Korogho (nord de la Côte d'Ivoire). suite

Source.MEDIAPART ( suite du Bombardement de BOUAKE en cote d'ivoire.

La France a pris des risques insensés

Autre fait troublant, les corps des neuf soldats tués n'ont pas été autopsiés, ce qui est contraire à la loi française, soutient Me Balan. L'avocat explique que, dès le 7 novembre, on était dans le cadre d'une procédure de « délit flagrant » de nature criminelle. Sur ce point, la loi française est claire : en cas de crime supposé, l'autopsie est obligatoire. Les victimes ont été jetées « comme des bêtes », dira une mère, dans des sacs mortuaires et inhumés dans des cercueils immédiatement plombés embarqués pour Paris sans que les honneurs militaires soient rendus devant les autorités locales.
Les parents n'ont jamais pu voir le corps de leur fils. « Ils n'étaient pas présentables », a rétorqué Alliot-Marie. Lors d'une première réunion de la juge avec les familles en 2005, une des mères, demandant à consulter le dossier de son fils, a fait une découverte sidérante : elle a constaté que le corps photographié avant la mise en bière n'était pas celui de son enfant. La juge a ordonné des exhumations et a découvert ainsi que deux dépouilles avaient été inversées. Plus choquant encore, des mères ont alors constaté que les corps avaient été jetés dans des sacs plastique, tels qu'ils avaient été trouvés sur le terrain : couverts de sang, de poussière, vêtements déchirés, sans être lavés ni habillés.
Le 6 novembre 2004, dans les rangs de l'armée française, la stupéfaction fait vite place à la colère. Selon le dossier d'instruction, l'état-major du général Poncet attend les ordres de Paris. Ils arrivent aussitôt. Jacques Chirac ordonne la destruction de « tous les aéronefs ivoiriens », des Sukhoï et des hélicoptères de combat MI-24. Lors de son audition devant le tribunal aux armées, le 20 février 2008, le général Henri Poncet affirme avoir informé de l'attaque de Bouaké le chef d'état-major des armées (CEMA), le général Henri Bentegeat, un quart d'heure après les faits.
«Le général Bentegeat m'a alors demandé (...) si j'étais en mesure de détruire les avions dans le cadre d'une opération de rétorsion. Je lui ai répondu: “Oui, s'ils se posent à Yamoussoukro.”» «Que vous a répondu le général Bentegeat ?» a demandé la juge Michon. «Dans mon souvenir, il y a eu un petit temps de latence, le général Bentegeat étant sans doute en liaison directe avec l'Elysée, je pense avec le président en personne, puisque celui-ci est chef des armées et que le CEMA lui est directement subordonné. Ensuite le général Bentegeat a donné son feu vert pour la destruction des avions», s'est souvenu Poncet.
Cette décision brutale aurait pu avoir de terribles conséquences sur les 3500 militaires français et la dizaine de milliers de ressortissants présents sur place. Elle témoigne d'un mépris certain pour la sécurité de tous ces expatriés dont la vie a été mise en danger. Le système d'alerte par îlots n'a pas pu être déclenché. Le général Poncet a en effet massé toutes ses troupes le long de la ligne de démarcation entre loyalistes et rebelles. Le Bataillon d'infanterie de marine (Bima) près de l'aéroport d'Abidjan est quasiment désert. Les marmitons et les infirmiers doivent monter au feu.
A l'aéroport, seulement une dizaine de soldats gardent les deux Transall stationnés là. Ils ont placé un blindé en travers du portail d'entrée, reçu l'appui d'une vingtaine d'hommes et doivent repousser, vers 15 heures, un premier assaut ivoirien. Pour prendre le contrôle de l'aéroport, un objectif jugé crucial, le général Poncet prend tous les risques au mépris des règles élémentaires de sécurité. Alors qu'il ne dispose pas d'une piste suffisamment longue pour atterrir (elle est déjà en partie occupée par les « patriotes »), trois Transall font un « touch and go » sur le tarmac pour y déposer, sans couper les moteurs, des renforts français.
Les combats sont extrêmement violents. On relève sept tués parmi les Ivoiriens et plusieurs blessés côté français. A 16h30 les deux derniers Sukhoï ivoiriens et deux hélicoptères MI-24 sont mis hors d'usage dans un hangar. A coups de hache car le stock de dizaines de tonnes de munitions entreposé près des avions pourrait faire sauter tout l'aéroport. Vers vingt heures, trois hélicoptères encore indemnes, qui stationnent dans l'enceinte de la résidence présidentielle de Yamoussoukro, sont bombardés.( suite)


suite /Source: pour comprendre le bombardement de Bouaké en cote d'ivoire.

Les mercenaires biélorusses escamotés

Chauffées à blanc par Blé Goudé, le « général de la rue » qui s'est installé devant les caméras de la télévision nationale, des dizaines de milliers de personnes déferlent dans les rues d'Abidjan à la nouvelle de la destruction de leur aviation nationale. Posté sur le toit de son ambassade, Gildas Le Lidec avoue n'avoir jamais vu une foule aussi nombreuse. Le soir, des hélicoptères français tirent à balles réelles sur la foule qui tente de franchir les deux ponts sur la lagune pour attaquer le Bima et le quartier français. Les renforts venant de Bouaké n'arrivent à Abidjan que le matin du 8 novembre après avoir forcé sur sa route plusieurs barrages, tuant sur leur passage plusieurs «patriotes». Le même scénario se reproduit pour la colonne qui vient de l'ouest du pays.
Dans les jours suivants, un pont aérien permet l'évacuation de milliers de Français. Il y aura beaucoup de destructions matérielles, mais aucun mort, ni blessé sérieux parmi les expatriés, seulement trois cas de viol faisant l'objet d'une plainte. Sous d'autres cieux africains, de tels événements se seraient terminés dans un bain de sang. Côté ivoirien, on dénombre une soixantaine de victimes, pour la plupart civiles.
Pendant qu'Abidjan est à feu et à sang, les pilotes biélorusses et la dizaine de mécaniciens qui les accompagnent ont regagné Abidjan. Ils sont arrêtés par des gendarmes et remis pendant quatre jours à des officiers des forces spéciales de crainte que les pandores ne posent de mauvaises questions. Depuis, le compte-rendu de leurs auditions a été enseveli sous le secret-défense où elles reposent toujours.
A la fin de cette longue « garde à vue », on les prie de prendre la poudre d'escampette. Direction, le Togo où Robert Montoya, un ex-gendarme élyséen sous Mitterrand, reconverti dans « l'import-export », est chargé de les réceptionner. C'est lui qui a livré à Gbagbo les deux Sukhoï et leurs équipages, au vu et au su des militaires français stationnés à Lomé, la capitale togolaise. C'est donc un retour à l'envoyeur. Serviteur zélé, Montoya dépêche sa secrétaire récupérer au poste frontière le minibus et son contenu de Biélorusses. Mais François Boko, alors ministre de l'Intérieur du gouvernement togolais, ne l'entend pas de cette oreille. Il expliquera aux juges du TAP qu'il a tenté de réexpédier les mercenaires slaves aux autorités françaises qui, pendant dix jours, refuseront obstinément de les arrêter.
Michèle Alliot-Marie a affirmé que la France n'avait pas, à l'époque, d'informations suffisamment précises pour exiger de Boko qu'il garde prisonniers des mercenaires : « Les analyses et les recoupements, nous ne les avons eus qu'après, explique benoîtement la ministre de la Défense de Chirac au juge chargé de l'enquête, et ils n'ont conduit qu'à des présomptions que des pilotes pouvaient peut-être se trouver dans ce groupe. » Pourtant, le ministre de l'Intérieur togolais se souvient d'avoir remis les photocopies des passeports des deux pilotes au représentant local de la DGSE dès leur arrestation au poste frontière : « Dix jours après, il a dit qu'il n'en voulait pas parce que Paris n'en voulait pas. » Pour les mercenaires slaves, c'est la fin de l'aventure ivoirienne. Ils sont embarqués dans un avion à destination de Moscou et s'évanouiront dans la nature.
Pourquoi a-t-on laissé ainsi filer les auteurs de neuf homicides commis contre des ressortissants français? Les arguments avancés par Paris pour justifier ce pataquès judiciaire sont d'une affligeante pauvreté.
  • La France ne connaissait pas l'identité des pilotes ? « L'équipage de l'avion Sukhoï n'a pas été identifié. Ses deux membres se sont enfuis », ose même répondre Michelle Alliot-Marie en réponse à une question d'un député UMP à l'Assemblée nationale fin 2004. Le dossier d'instruction regorge pourtant de photos et de films sur leur activité du 2 (date de leur arrivée) au 6 novembre sur l'aéroport de Yamoussoukro et dans le ciel ivoirien. Une vraie cinémathèque. Quelques témoignages : « Deux équipes ont été employées 24 heures sur 24 pour surveiller le tarmac dès l'arrivée des avions. Tout le personnel de type caucasien a été surveillé et photographié. Toutes les opérations aussi. Les équipages des Sukhoï ont été identifiés », affirme un militaire, Marc Beck, devant la juge. Un autre soldat, Xavier Alibaud, a établi neuf bulletins d'information sur l'activité des mercenaires à Yamoussoukro entre le 2 et le 6 novembre : «Ordre avait été donné de concentrer notre action de renseignement sur ces appareils, déclare-t-il. Cela devenait une priorité. Nous disposions de tout le matériel adéquat. Deux sous-dossiers vidéo contiennent les équipages à leur retour du bombardement du camp français. Je suis affirmatif sur ce point. Les avions n'étaient pas encore revenus à Yamoussoukro que nous savions déjà qu'ils avaient bombardé Bouaké.» Cette dernière remarque contredit les affirmations de certains membres de la hiérarchie militaire qui soutiennent avoir été informés avec retard de l'attaque du camp français. Or, la radio interne de l'opération Licorne a donné l'information en live.
  • Le général Bentégeat a transmis l'ordre de détruire les Sukhoï mais «l'ordre n'a pas été donné d'aller récupérer les pilotes après qu'ils se sont posés », explique le colonel Destremau, patron du régiment bombardé. «Nous n'avons reçu aucune instruction pour récupérer les boîtes noires », ajoute-t-il. Dans une note adressée au commissaire Robin, patron de la brigade criminelle, Bentégeat écrit « qu'à sa connaissance, les Sukhoï n'avaient pas de boîtes noires. En tout cas, elles n'ont pas été récupérées ».
  • La France n'avait pas de moyens légaux de les inculper, a soutenu Alliot-Marie. Paris disposait pourtant d'un triple arsenal pour les traduire en justice. D'abord la loi Pelchat, datant du 14 avril 2003, qui réprime l'activité des mercenaires. Ensuite, l'article 65 du code de justice militaire prévoyant que sont justiciables du tribunal aux Armées tous auteurs ou complices d'une infraction contre les forces armées françaises. Enfin, l'article 113-7 du code pénal indique que la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française. Quant à l'argument avancé un moment par Alliot-Marie de créer une crise diplomatique avec la Biélorussie, il touche le fond du ridicule.( suite )

 | PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

suite/ source: Mediapart/ pour comprendre le bombardement de Bouake.

L'action de la justice française entravée

En réalité, les Biélorusses ont été arrêtés pour la forme dans le but d'apaiser les protestations de militaires du rang qui avaient fait part à leur état-major de leur « rage » après la mort de leurs camarades. Au cours de l'un de ses interrogatoires devant la juge du TAP, le général Poncet lui-même n'a pas caché son incompréhension: « L'ordre m'a été donné de libérer la quinzaine de mercenaires slaves. Je n'avais pas du tout envie de lâcher ces personnes... Moi je ne demandais pas mieux que les mettre dans un avion pour les envoyer en France. »
Sept ans après ce tragique bombardement, les familles des soldats tués et les victimes attendent toujours un procès et une indemnisation. Pourtant, Brigitte Raynaud et Florence Michon, les deux juges qui se sont succédé jusqu'en 2010 au Tribunal aux armées pour instruire ce dossier, n'ont pas ménagé leur peine en auditionnant des centaines de personnes. Depuis l'instruction est au point mort. Frédéric Digne, le dernier juge nommé, est souffrant depuis plusieurs mois. Depuis 2004, les autorités françaises ont sciemment multiplié les embûches pour empêcher la justice de faire son travail. En voici un listing non exhaustif :
  • Le 6 novembre 2004, un représentant du ministère de la Justice dépêché à Bouaké veut informer le procureur de la République pour avoir des directives. Sa demande est refusée. Il faut attendre le 10 novembre pour qu'une enquête de flagrance soit ouverte et que la justice soit officiellement saisie. Entre-temps, les corps des victimes ont été rapatriés à Paris. De nombreux éléments de preuves ont disparu. D'autres sont ensevelis sous le « secret » et ne seront déclassifiés qu'à doses homéopathiques sous la pression des parties civiles.
  • Dans le dossier, on ne trouve aucune trace du civil américain tué dans le bombardement et, à ce jour, son mystère reste entier. Quelques plaintes de parties civiles (les premières seront déposées à partir du 1er décembre 2004) ont disparu. C'est le cas d'une ressortissante ivoirienne, Mme Kouassi Amoin épouse Rolland.
  • Il faut attendre le 14 décembre 2005 pour qu'une demande de mandat d'arrêt à l'encontre des copilotes ivoiriens, Patrice Ouei et Ange Gnanduillet, soit transmise du juge d'instruction au procureur de la République. Le 19 juin 2006, le juge Blé Kokobo Nicolas, qui officie au tribunal militaire d'Abidjan, s'étonne que ces mandats d'arrêt ne soient pas parvenus en Côte d'Ivoire. Le 9 février 2006, soit plus de quinze mois après les faits, des mandats d'arrêt sont enfin délivrés contre les mercenaires Youri Suchkine et Boris Smahine.
  • Lorsqu'elle est remplacée par Florence Michon, Brigitte Raynaud, juge au Tribunal aux armées chargée de l'affaire de Bouaké, laisse une lettre testament à l'adresse de Michèle Alliot-Marie, son ministre de tutelle : « Je relève qu'à la fin de ma mission aucun renseignement ne m'a été fourni sur les raisons pour lesquelles les mercenaires et leurs complices, identifiés comme auteurs de ce crime, bien qu'arrêtés immédiatement ou dans les jours qui ont suivi les faits, avaient été libérés sur instruction ou avec le consentement des autorités françaises sans avoir été déférés à la justice. »
La juge a interrogé tous les plus hauts gradés de l'armée française (sauf Bentégeat) : les patrons de l'opération Licorne, Poncet et Thonier, celui de la DRM, Masson, le directeur de la DGSE, Pierre Brochant. Dans un même chœur unanime, ils affirment ne rien savoir sur l'audition des mercenaires slaves par les forces spéciales. Il n'est pas exclu qu'ils disent la vérité et que l'opération Bouaké ait été décidée en tout petit comité élyséen. Dominique de Villepin, qui, depuis 2002, surveillait comme le lait sur le feu l'évolution de la crise ivoirienne, a été cuisiné pendant cinq heures par la juge du TAP. Conclusion de l'audition : il ne sait rien. A l'écouter, il connaîtrait à peine l'existence de la Côte d'Ivoire, note ironiquement Jean Balan. « Son témoignage est un monument, ajoute-t-il, un exemple parfait de comment botter en touche avec talent sans donner l'impression de se moquer de la justice. »
Instruction en panne, dossiers toujours couverts par le secret-défense, mercenaires exfiltrés, témoins amnésiques, l'affaire du bombardement de Bouaké contient tous les ingrédients d'un mauvais polar françafricain. Le général Poncet, qui était aux premières loges, l'a qualifiée un jour de « bavure manipulée ». Bavure, manipulation, encore faut-il s'accorder sur l'ordre des mots. La manipulation a-t-elle précédé la bavure ? De fausses informations ont-elles été données aux pilotes dans le but de discréditer Gbagbo et d'entraîner sa chute ? Pourquoi les plus hautes autorités de l'époque se sont acharnées à empêcher la manifestation de la vérité ? Et pourquoi, sept ans après, alors qu'il est aux arrêts dans l'attente d'une éventuelle traduction devant la Cour pénale internationale, après avoir été délogé de son bunker présidentiel par l'armée française, personne ne se soucie d'entendre Laurent Gbagbo, le « commanditaire présumé » de l'attaque?
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